Si vous êtes de St-Jean-Sur-Richelieu et de ses environs, il y a de fortes chances que vous ou un membre de votre famille ayez travaillé à la Singer. L’usine Singer de St-Jean-Sur-Richelieu, fabriquant ses illustres machines à coudre et bâtie en 1906 a été un moteur de l’économie locale durant 80 ans. Lors de ses meilleures années, plus de 2000 personnes sont salariées de la Singer de St-Jean.
Dès sa fondation, l’ampleur de l’usine faisait en sorte de nécessiter à elle seule un service d’incendie et un service de poste indépendants. L’usine est même autonome au point de vue du chauffage, de l’aqueduc et de l’électricité en plus de posséder un petit réseau ferroviaire privé. L’entreprise était verticalement intégrée à un point tel qu’elle détenait même des terres à bois au Québec afin de soutenir complètement les besoins de bois entrant dans la production de ses machines à coudre. À l’époque, les machines à coudre étaient vendues montées sur des tables de bois.
Dès 1962 par contre, après une période faste durant la guerre où la Singer produisait de l’armement, les difficultés se font de plus en plus nombreuses. L’entreprise entreprend ainsi une longue agonie en débutant la fermeture et la vente de départements et de terrains. Certains bâtiments seront démolis puis, entre 1986 et 1988, Singer sonne le glas de l’usine en vendant près de 500 000 pieds carrés de terrains sur lesquels les bâtiments principaux étaient érigés.
Laissé à l’abandon jusqu’à son rachat en 2003 par la ville de St-Jean, le site aura beaucoup souffert durant cette période. Aujourd’hui, le bâtiment toujours debout ne répond plus aux normes concernant les tremblements de terre et a été cédé par appels d’offres (aujourd’hui contestée) après avoir été décontaminé en 2005. La démolition est maintenant prévue pour cet hiver, alors que la ville de St-Jean s’était rendue à l’évidence qu’il était trop coûteux pour quiconque de revamper les bâtiments. Enfin, c’est ce que la ville affirme.
Les bâtiments témoignant des époques passées ont pour certain une valeur inestimable et pour d’autres ne sont qu’un gouffre financier. Évidemment qu’un bâtiment de plus de cent ans coûte plus cher à rénover que l’érection de condominiums bons marchés. Mais faut-il vraiment ne considérer que l’aspect économique à court terme d’un tel projet?
L’architecture industrielle témoigne du passé et de la complexité d’une culture. Elle est rarement conservée et pourtant, dans les rares cas de sauvetage, on peut en faire des choses extraordinaires. Au cœur de Valleyfield, où il y a cent ans les travailleurs œuvraient à la Montreal Coton, on peut maintenant dormir à l’Hôtel Plaza : un superbe exemple de conservation de bâtiments industriels. Dans la même optique, le quartier industriel de Griffintown, dans le sud-ouest de Montréal est en train de revivre. Les investissements s’y multiplieront comme nulle part ailleurs dans la métropole lors des prochaines années. Bien entendu, le même combat pour la préservation des bâtiments témoins du passé est au cœur de certaines préoccupations.
L’époque de l’industrialisation québécoise demeure un tournant dans notre histoire à tous et les grands témoins du passé doivent être conservés. La Singer de St-Jean-Sur-Richelieu est l’un d’eux. À ce jour, un combat est commencé afin de faire en sorte que l’immeuble soit classé monument historique, dernier recours pour sauver ce qu’il en reste… À suivre…