Certain.e.s d’entre vous ont pu être surpris.e.s d’apprendre qu’un.e travailleur.euse avait entrepris un recours civil contre eux ou elles, alors même que celui-ci ou celle-ci avait été indemnisé.e par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après la « LATMP »). Il faut savoir que le régime institué en vertu de la LATMP peut permettre certains autres recours civils dans des circonstances exceptionnelles.
1. Le principe : Immunité civile de l’employeur
Au Québec, les travailleur.euse.s victimes d’accident du travail et de maladies professionnelles bénéficient d’une indemnisation prévue par le régime institué en vertu de la LATMP; ce régime est administré par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (ci-après la « CNESST »). Les employeurs ayant un établissement au Québec doivent contribuer à ce régime. Vu la nature de ce régime, le ou la travailleur.euse ne peut donc normalement pas intenter d’autre recours judiciaire en responsabilité civile découlant d’une lésion professionnelle contre son employeur ou d’autres personnes, l’employeur (qui contribue au régime prévu par la LATMP) bénéficiant d’une immunité civile. Cette immunité couvre la majorité des pertes monétaires, telles que les pertes salariales, les indemnités pour les souffrances subies en raison de la lésion et les dommages pour indemniser les atteintes à un droit fondamental.1
Par contre, il demeure des cas exceptionnels où un.e travailleur.euse peut intenter un recours civil pour réclamer certains dommages, car cette immunité civile dont bénéficie l’employeur n’est pas totale. On verra ci-après quatre situations dans lesquelles un.e travailleur.euse peut intenter un recours civil malgré le régime de la LATMP.
2. Le recours possible contre l’employeur
D’abord, malgré les indemnités reçues en vertu de la LATMP, un.e travailleur.euse pourrait poursuivre son employeur pour atteinte à sa réputation ou en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne2 pour demander certaines mesures de redressement, autres que monétaires, comme une lettre d’excuses.3
3. Le recours contre un.e collègue ou un mandataire de l’employeur
Par ailleurs, le travailleur ou la travailleuse ne peut pas poursuivre son ou sa collègue de travail ou le mandataire de son employeur (un.e administrateur.rice de l’entreprise, par exemple) puisqu’ils ou elles bénéficient aussi de l’immunité civile.
Cependant, si les agissements du collègue ou du mandataire à l’origine de la lésion professionnelle ne sont pas commis à l’occasion de leur travail, l’immunité ne s’appliquera pas et le ou la travailleur.euse disposera d’un recours contre eux ou elles, et ce même s’il ou elles reçoit de prestations en vertu de la LATMP.4
Par exemple, un travailleur, victime d’une agression physique par une administratrice de l’entreprise à la suite d’une altercation survenue dans le cadre d’une activité se déroulant en dehors des heures de travail et du lieu de travail, peut poursuivre en dommages cette administratrice. Il peut le faire même s’il reçoit des prestations en vertu du régime de la LATMP et si l’administratrice est normalement une mandataire de l’employeur puisqu’elle n’agissait alors pas dans le cadre de ses fonctions.5
Le recours contre un employeur qui n’est pas l’employeur du travailleur
Le ou la travailleur.euse lésé.e peut poursuivre un employeur qui n’est pas le sien dans certains contextes et selon différentes modalités puisque l’immunité civile ne s’applique pas de la même façon à cet employeur qui serait responsable de la lésion professionnelle. On peut qualifier cet employeur de tiers employeur, qui pourrait être, par exemple, un sous-traitant de l’employeur ou un de ses fournisseurs. Dans ce cas, le ou la travailleur.euse pourrait notamment être indemnisé.e par le régime de la LATMP et entreprendre un recours civil contre le tiers employeur pour réclamer l’excédent des dommages non couverts par le régime de la LATMP.
Le recours subrogatoire de la CNESST
Lorsque la CNESST verse des prestations à un.e travailleur.euse à la suite d’une lésion professionnelle, cette dernière est subrogée dans les droits du ou de la travailleur.euse. Cela signifie qu’elle peut exercer les recours civils possibles du ou de la travailleur.euse contre un.e responsable de la lésion pour réclamer les sommes qu’elle a versées au ou à la travailleur.euse6 dans les mêmes limites que celles expliquées aux sections précédentes. En d’autres mots, la CNESST n’a pas plus de droits ou de recours civils que le ou la travailleur.euse.
Conclusion
Bien qu’il existe une immunité civile pour les employeurs, ses employé.e.s et mandataires en vertu de la LATMP, ceux-ci ne sont toutefois pas à l’abri de tous les recours civils. Il demeure que le principe général édicté dans la LATMP veut que le ou la travailleur.euse blessé.e doive s’adresser à la CNESST pour être indemnisé.e. Toutefois, la loi lui permet, dans certaines circonstances exceptionnelles, résumées ci-haut, de choisir d’intenter d’autres recours civils.
Il serait donc plus prudent de garder en tête dans l’évaluation du risque financier en lien avec une lésion ou maladie professionnelle que des recours civils peuvent parfois être entrepris d’autant plus que ceux-ci peuvent être entrepris dans les trois (3) années après la survenance des faits donnant lieu à la réclamation.
Cet article a été rédigé par Zeïneb Mellouli, en collaboration avec Cloé Potvin Lavery de chez Lavery Avocats.
1. Béliveau St-Jacques c. FEESP, [1996] 2 R.C.S. 345, par. 130-133; André LAPORTE et Christiane LAVALLÉE, « Le recours en responsabilité civile à la suite d’une lésion professionnelle », dans S.F.C.B.Q., vol. 425, Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail (2017), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2017, p. 53 à 104;
2. L.R.Q., c. C-12
3.Ghanouchi c. Lapointe, 2009 QCCA 21
4. Voir article 442 quant à l’application de certaines exceptions.
5. S.M. c. G.G., C.S. Trois-Rivières, no 400-17-003614-142, 28-04-2017, j. Paradis (Déclaration d’appel, C.A., 13-06-2017, 200-09-009531-176)
6. LATMP, art. 446